29ème Dimanche Ordinaire – Année A – 22 Octobre 2023 – St Benoît
« Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » : voilà un dicton célèbre dont l’usage dépasse la communauté chrétienne ! Mais que faut-il rendre à César ? Et que faut-il rendre à Dieu ? L’évangile ne précise pas plus… Rappelons le contexte à l’époque de Jésus. Dans l’empire romain, l’empereur se considérait comme un dieu et devait être vénéré comme tel. Aussi, refuser de rendre un culte à l’empereur était passible de mort, et c’était d’ailleurs le motif premier des persécutions chrétiennes. Mais refuser de rendre un culte n’exclue pas de respecter ni de prier pour une autorité temporelle. A la demande de l’Église depuis St Paul, notre prière universelle nous invite à prier régulièrement pour que les dirigeants de ce monde servent le bien commun, et il y a urgence !
Ne pas confondre Dieu et l’empereur : en langage contemporain, cet appel revient à ne pas considérer Dieu comme un pouvoir politique ou économique, réciproquement à ne pas considérer le pouvoir politique ou économique comme un dieu. Cette exigence est d’une très grande actualité. Un des maux les plus terribles est de déifier le pouvoir et celui qui l’exerce, de déifier l’argent et celui qui le détient, de les placer au-dessus de l’homme qui a alors l’illusion d’un pouvoir sans limite sur le monde et sur lui-même. Ici ce situe les drames de notre histoire et les drames dans notre actualité : c’est alors que les conflits éclatent et que les instruments de conciliation deviennent inopérants : l’ONU, les accords de Minsk sur l’Ukraine, les accords d’Oslo sur la Terre Sainte… L’espérance même est touchée. Chaque peuple sur la terre, chaque individu dans nos sociétés semble pris dans la fascination d’être soi-même aux dépens des autres.
Quel message nous livre Jésus quand il nous demande, d’abord, de rendre à César ce qui est à César ? Il nous invite à garder les pieds sur terre, à agir dans l’organisation de notre société, même à une échelle très modeste. Selon l’Évangile, c’est dans ce monde, aussi déréglé soit-il, tel qu’il est, que notre agir se situe. Dans sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, Saint-Paul écrit : « Nous sommes des collaborateurs (co-ouvriers) de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit » (1 Co 3,9). À l’occasion de cette semaine missionnaire, cette invitation de Paul confirme l’appel du Seigneur, pour chacun d’entre nous, à vivre le service du frère au nom du Christ. Notre diaconie paroissiale est dense et plurielle : elle s’exerce pour les demandeurs d’asile, pour les personnes qui ont vécu une situation matrimoniale douloureuse (Rebondir), pour les hôtes de l’Asile de Nuit, pour les personnes atteintes de trisomie (Association PARM), et bien d’autres services …
Si l’engagement a du sens, c’est tout simplement parce que notre existence est profondément incarnée. Jésus s’est impliqué dans la vie de son temps, au cœur des familles, des métiers, des institutions. Jésus a dialogué avec des croyants et avec des païens, avec des puissants et avec des exclus, avec des bien-portants et avec des malades. Il nous apprend à nous mettre à la même hauteur que le jeune homme riche ou que la prostituée : ces gens-là ne fréquentaient pas la synagogue ni le Temple… Jésus n’a jamais dénigré la société ni son organisation. En invitant à « rendre à César ce qui est à César » il sollicite notre responsabilité et notre disponibilité de chrétien, qui peut « interpeler César » si l’iniquité s’installe. En certains lieux, cela peut coûter la vie…
Car l’activité humaine a sa propre autonomie confiée par Dieu à l’homme, et cette activité n’est pas systématiquement en opposition avec Dieu. C’est le sens rappelé par la première lecture. En 587 avant JC, le roi de Babylone, Nabuchodonosor, avait déporté les hébreux de leur terre.
Quelques décennies plus tard, le roi de Perse, Cyrus, permet aux hébreux de retrouver leur terre et les aide même à reconstruire le temple de Jérusalem. Ils reconnaissent que Cyrus, roi païen, fut inspiré par Dieu, mais ils n’iront jamais jusqu’à rendre un culte à Cyrus. Ainsi rendent-ils à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Ainsi, l’Évangile nous invite à rendre au monde ce qui est au monde, sans confondre Dieu et le monde, et sans oublier Dieu.
Et ne pas oublier Dieu, c’est lui rendre ce qui lui appartient, et c’est la seconde partie de l’affirmation de Jésus. Qu’est-ce qui appartient à Dieu et que nous sommes invités à lui rendre ? Notre existence appartient à Dieu. Mais cet « appartenir » n’est pas une possession de la part de Dieu qui nous priverait de liberté. Dire que notre vie appartient à Dieu signifie que Dieu en est la source, le fondement et le terme. Ainsi, nous ne pouvons pas tout recevoir de nous-mêmes, mais nous pouvons nous appuyer sur cette Présence, cette Parole qui est à la fois extérieure à nous, et qui résonne au plus profond de notre conscience, à condition de ne pas laisser les affaires du monde étouffer cette Présence. Nous pouvons nous appuyer sur le Christ, car le Christ est Dieu qui s’est fait homme. Alors, comme dit Saint Paul, notre foi sera active, notre charité se donnera de la peine et notre espérance tiendra bon.
Ce qui demeure certain, c’est que le monde confié à l’homme par Dieu est le seul lieu où l’homme est appelé à rejoindre Dieu, à condition de ne pas confondre Dieu et César, le créateur et sa création. Il n’y a pas d’autre endroit possible que le monde pour rejoindre Dieu. Et c’est dans ce monde que l’eucharistie nous est donnée comme source et sommet de notre vie chrétienne, pour nourrir notre marche humaine et spirituelle vers Dieu, au cœur du monde.
Christophe Donnet
22 octobre 2023 : 29ème dimanche du temps ordinaire